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05.06.2025
Notre génération est-elle en train d’assister à la marche arrière de la globalisation au profit de logiques de blocs, plus cohérents avec un objectif de résilience et de souveraineté économique ?
Les barrières douanières annoncées par les USA depuis le début du nouveau mandat du président. Trump sèment le doute sur le fait que les USA, garants d’un certain fonctionnement du monde depuis la fin de la seconde guerre mondiale, sont en train de se retirer de ce rôle. Cela vient s’ajouter aux tensions géopolitiques qui ne cessent de croître. Les conflits armés actuels (Ukraine/Russie, Israël/Gaza, Inde/Pakistan…), ou potentiels (Chine/Taiwan, Chine/Philippines, armement nucléaire de l’Iran, de la Corée du Nord…), ou via des cyberattaques (notamment en provenance de Russie et de Corée du Nord), ainsi que les rivalités entre puissances (USA/Chine) redessinent l’économie mondiale et fragmentent les échanges. L’OMC prévoit ainsi une croissance négative du commerce en 2025.
Dans ce contexte, l’incertitude atteint son paroxysme et constitue pour les entreprises et le monde du private equity un enjeu essentiel. Idéalement, un fonds de private equity investit dans une société en ayant une idée claire des règles et du contexte qui vont s’appliquer pour une période relativement longue – entre 3 et 10 ans – pour pouvoir se positionner avec un niveau de certitude raisonnable sur un prix et un plan de création de valeur.
La situation du Private Equity est paradoxale : cette façon d’investir paraît particulièrement adaptée du fait du temps long qu’il permet, en soustrayant le management des sociétés concernées du besoin de réagir à l’échelle du trimestre. Pourtant pour l’investisseur qui cherche à confier son épargne, cela peut être impressionnant de se dire qu’on prend une décision aujourd’hui dans un véhicule illiquide alors que le monde est peut-être en train d’être bouleversé et que la fluidité paraît donc préférable.
L’incertitude est en train de casser la dynamique de reprise des transactions qui se dessinait progressivement en 2024. Le sentiment dominant fin 2024 était en effet que 2025 serait l’année d’une reprise soutenue de l’activité de fusions et acquisitions, portée à la fois par un optimisme général et une pression forte de la part des investisseurs dans les fonds de private equity, qui ont connu une baisse marquée des distributions depuis 2022. Les investisseurs font d’ailleurs savoir aux fonds de private equity leur besoin de liquidité. Nous pouvons anticiper que les fonds vont tout faire pour réaliser des sorties mais que celles-ci se polariseront entre :
Le reste des sociétés devrait être conservé par les fonds pour travailler à l’amélioration de l’EBITDA et du profil stratégique, donc au multiple de valorisation pour une sortie attractive.
Pour les Limited Partners (LP), c’est-à-dire les investisseurs institutionnels ayant confié leur souscription à la société de gestion, ceci a une forte probabilité de signifier une poursuite d’un faible taux de distributions. Le montant de cessions devrait être bas par rapport aux encours investis, et ceci place les LP dans une situation très difficile, les forçant à mettre en vente une partie de leurs participations en Private Equity.
Ceci à son tour devrait impacter les levées de fonds de Private Equity, dont la durée ses allongée par rapport aux rythmes de levées d’avant 2022.
Dans ce contexte, nous privilégions des secteurs ou des façons d’investir qui sont isolés de ces bouleversements ou qui seront favorisés par ces bouleversements.
Les secteurs qui restent isolés de ces bouleversements sont acycliques – et donc plutôt à destination des entreprises que des consommateurs – adressant des besoins critiques, et dont la chaîne d’approvisionnement reste le plus locale possible. Les services aux entreprises, les logiciels ou certains segments de la santé correspondent à ces critères.
Quant à la façon d’investir dans ces secteurs, il convient de viser des transactions avec peu de levier pour ne pas accroître le niveau de risque, ainsi que l’investissement dans des entreprises de taille intermédiaire – les petites sociétés ont moins de coussin de protection, les grandes entreprises sont plus complexes à faire pivoter si besoin. L’investisseur averti privilégiera également l’exposition à ces secteurs via des fonds spécialistes, car l’expertise favorisera non seulement la performance mais également l’agilité et la capacité à pivoter si nécessaire.
Pour les investissements favorisés par ces bouleversements, les opportunités se dessinent dans les secteurs liés à la résilience et à la souveraineté économique. La transition énergétique est source de souveraineté économique en Europe par exemple, car c’est un territoire relativement pauvre en hydrocarbures. Dans le contexte de tensions géopolitiques, les investissements dans la défense et la cybersécurité sont eux aussi amenés à croître.
En parallèle, adopter une posture opportuniste permet de tirer parti des turbulences. Certains fonds, adoptant ce type de stratégie, sont en capacité d’identifier des occasions où des actifs sont disponibles à des prix réduits, souvent en raison de la rareté du capital ou des ajustements économiques. Les décotes du marché ont dépassé les 15% en moyenne sur 2022-2024, période de turbulences financières.
Pour l’industrie du private equity, la séquence sur les barrières douanières est un enjeu majeur compte tenu de l’incertitude non seulement à court terme sur la quantification des impacts de ces tarifs, mais également à long terme car l’approche ancre la fin des certitudes liées à un ordre mondial établi à la fin de la seconde guerre mondiale. Dès lors, qu’il soit arrivé à son terme importe moins que le fait que cette incertitude existe désormais. Les tensions géopolitiques ne cesseront dès lors d’augmenter, et un portefeuille de private equity bien construit permettra non seulement la résilience, mais qui plus est d’être exposé aux secteurs qui en bénéficieront.